Gérer l’effet domino pour communiquer la restructuration de son entreprise
« Tu n’as pas idée de ce qui s’en vient. »
C’était au début de l’année, bien avant la pandémie. La confidence venait d’un syndic. Sans détour et en une seule phrase au bout du fil, ce dernier me vulgarisait la tempête économique qui pointait à l’horizon. Bien avant le confinement du printemps dernier, plusieurs entreprises étaient déjà en difficultés financières, devenant ainsi candidates pour se placer à l’abri de leurs créanciers.
Les exemples ne manquent pas depuis le début de la pandémie. Partout au Québec, des chefs d’entreprise ont dû se résigner et annoncer qu’ils devaient restructurer leur entreprise pour survivre. Pour un entrepreneur qui tient à bout de bras sa business, c’est une véritable gestion de crise à gérer, autant à l’interne avec les créanciers, les employés, les clients et les partenaires, qu’à l’externe avec les médias et même les élus.
Le rôle des communications dans un processus de restructuration
Lors d’une restructuration, le syndic conseille et accompagne le chef d’entreprise sur la voie à suivre sur le plan légal, la gestion des liquidités et les décisions à prendre pour reprendre le chemin de la rentabilité. Un stratège en communication devrait toujours accompagner l’équipe de décideurs tout au long du processus.
Pourquoi? Parce qu’il est question de la réputation de l’entreprise sur la place publique.
L’enjeu, ce n’est pas uniquement de communiquer avec les médias, mais de bien communiquer avec un ensemble de publics cibles qui touchent de près ou de loin votre entreprise.
Voici 3 conseils clés pour bien communiquer à vos publics cibles à l’aube d’une restructuration :
1) Réunissez le plus rapidement possible votre syndic et votre stratège en communication dans la cellule de crise
Je prends pour acquis qu’un entrepreneur qui souhaite se placer à l’abri de ses créanciers a déjà formé sa cellule de crise. Ce noyau doit, entre autres, réunir autour de la même table le syndic et votre stratège en communication ainsi que les autres membres clés impliqués dans la démarche. L’objectif est simple : faire circuler l’information librement et permettre aux experts de se « challenger » entre eux. Comme chef d’entreprise, vous serez mieux conseillé.
Il existe un vieux mythe selon lequel les avocats et les relationnistes sont incapables de travailler ensemble. C’est complètement faux. Lors d’un enjeu à gérer, je suis le premier à insister pour être en présence de l’avocat dans le dossier. Pourquoi? Parce que je ne suis pas avocat. Parce que je dois comprendre toutes les subtilités légales dans un dossier et bien saisir les nuances juridiques.
Cette dynamique avocat-relationniste devrait être la même avec un syndic lors d’une restructuration. Le syndic doit être en mesure d’informer votre stratège en communication sur chacune des démarches légales en amont et des gestes qui seront posés dans le dossier. Par exemple, l’annonce publique de la restructuration sera directement liée au dépôt de la requête devant le tribunal. En partageant l’information, le syndic outille le stratège en communication, ce qui lui permet de proposer une marche à suivre réaliste et efficace pour l’annonce publique de la restructuration de l’entreprise.
Pratico-pratique, l’enjeu, c’est la synchronisation. Vous ne voulez pas que les journalistes affectés au Palais de justice médiatise la nouvelle sans que vous ayez pris le soin de l’annoncer vous-même, de l’expliquer, de la commenter et surtout de la nuancer. Résultat : le syndic et le relationniste doivent s’entendre sur la stratégie, le timing et le contenu pertinent à diffuser.
2) Adaptez vos communications pour chacun de vos publics cibles
Vous devez toujours adapter votre message selon le public cible à qui vous vous adressez. Soyons clair : le communiqué de presse que vous diffuserez vise à informer les médias et le public. De grâce, n’utilisez pas automatiquement le même produit de communication pour rejoindre vos autres publics cibles. Il est fort possible que le recours au communiqué de presse fonctionne dans certaines situations, mais probablement que ce ne sera pas suffisant.
En plus de produire un communiqué de presse, vous devrez préparer des communications ciblées et adaptées pour chacun des publics cibles suivants :
- Vos employés
- Vos clients
- Vos fournisseurs
- Vos partenaires
- Le maire de la municipalité ou de la ville
- Les députés et les ministres concernés de votre région
Pour éviter les faux pas, préparez un communiqué ou du contenu à diffuser pour chacun de vos publics cibles. Vous devez adapter le contenu à préparer pour chaque public cible tout en gardant le même message. Et c’est là tout le défi. Annoncer la même nouvelle, mais la communiquer différemment. Un véritable jeu d’équilibriste.
Le premier public cible à privilégier, ce sont évidemment vos employés. Pas de capital humain, pas d’entreprise. Ne vous contentez pas d’un mémo pour annoncer la mauvaise nouvelle à vos employés. Le mémo, un document factuel, sert surtout en appui à une communication verbale aux membres du personnel.
Rien ne remplacera pour un employé d’usine une discussion franche avec son patron sur le plancher de la shop. Je l’ai vu de mes propres yeux. En prenant le soin d’annoncer de vive voix à vos employés la mauvaise nouvelle, vous êtes à même de répondre sur le champ à leurs questions, leurs craintes et leurs nombreuses interrogations. Vous ne contrôlerez jamais leur réaction, mais vous aurez l’heure juste sur la façon dont ils encaissent la dure nouvelle et vous pourrez rectifier le tir au besoin.
- Agissez avec transparence et avec empathie. Mettez-vous cinq minutes à la place de vos employés qui sont dans l’ignorance et qui sont inquiets. On peut les comprendre. Ce moment sur le plancher de l’usine est, on peut se l’imaginer, immensément difficile pour un chef d’entreprise. Il s’agit d’un véritable test de leadership qui rappelle souvent de quelle façon l’équipe de direction estime et traite ses employés.
- En faisant preuve de transparence avec vos employés, vous vous donnez la chance d’amortir l’effet boomerang ou un effet backlash. Une discussion sur le plancher de l’usine permet de désamorcer de la colère et des incompréhensions, des émotions vives qui peuvent à tout moment éclater ensuite sur les réseaux sociaux et dans les médias. C’est ce que vous ne voulez pas. Et quand je parle des médias, un simple commentaire sous une publication Facebook d’un média peut entraîner un appel d’un journaliste.
- L’objectif, ce n’est pas de contrôler vos employés et de leur interdire quoi que ce soit comme s’ils étaient des enfants d’école. Il s’agit tout simplement de faire tomber la tension dans la shop plutôt que sur Facebook ou au micro du premier journaliste qui débarque à la fin du quart de travail dans le stationnement de l’usine. Et les journalistes cherchent, vous le devinerez, les réactions les plus émotives lorsqu’une entreprise est menacée de fermeture. C’était mon objectif lorsque je tenais le micro de TVA dans pareille circonstance.
Ainsi, la gestion de l’annonce aux employés est autant sinon plus importante que la gestion de l’annonce dans les médias. Vous voulez que vos employés vous appuient dans la tempête comme des ambassadeurs et non qu’ils deviennent des sources anonymes pour alimenter des journalistes. En d’autres mots, vos employés doivent faire partie de la solution et non devenir des distractions. Autrement, votre gestion de crise RH risque de devenir une gestion de crise médiatique.
Gardez en tête que dans un contexte émotif, on ne peut pas compter sur les employés pour diffuser le message de l’entreprise et c’est tout à fait normal. Vos employés qui perdent leur emploi vivront leur propre réaction personnelle. Ils se préoccuperont d’abord de leur avenir, pas de celui de leur employeur.
3) Gardez l’ADN de l’entreprise dans la tempête et celle de son dirigeant
Chaque entreprise qui emprunte la route périlleuse de la restructuration fait face à ses propres défis. Ses propres défis financiers, me répondront des syndics du tac au tac. Mais aussi leurs propres défis de communication pour médiatiser la mauvaise nouvelle. Faire atterrir une mauvaise nouvelle, c’est un art. Ça reste une communication stratégique hautement périlleuse.
Pour annoncer publiquement que votre entreprise se place à l’abri des créanciers, oubliez la stratégie de communication du one size fits all. Oui, un communiqué de presse sera nécessaire. Cependant, il n’existe pas une stratégie médiatique unique, une stratégie qui fonctionne pour une entreprise et qu’on recycle pour une autre PME dans le même parc industriel. Pourquoi? Parce que chaque entreprise a son histoire. Chaque entreprise a sa propre histoire face à ses difficultés financières. Ses propres motifs pour justifier la restructuration.
Êtes-vous une victime collatérale de la pandémie? Êtes-vous victime des problèmes de pénurie de main d’œuvre? Avez-vous eu « les yeux plus gros que le panse » avec le développement de votre PME? Avez-vous mal géré les liquidités? Avez-vous été victime d’un stratagème ou d’une fraude? Vous êtes vous attaqués au marché international alors que vous n’aviez pas les reins assez solides?
- Peu importe les motifs derrière la restructuration, vous devez communiquer en gardant votre ADN comme haut dirigeant et celle de votre entreprise. Si vous êtes une personnalité d’affaires reconnue sur la place publique, vous ne pourrez vous défiler. Vous ne pourrez pas vous cacher derrière un communiqué de presse et simplement espérer que l’intérêt des médias se dissipe le lendemain. Au contraire, vous subirez la pression des médias, une pression soutenue avec des journalistes qui seront plus insistants pour recueillir « votre réaction comme chef d’entreprise ». Par ailleurs, si vous vous cachez, parce que c’est de cela dont on parle ici, vous transférez la pression sur vos employés qui se retrouveront à spéculer sur l’avenir de l’entreprise devant les caméras. À votre place. Souvent avec émotions et sans nuance.
- Si votre entreprise profitait d’une visibilité inouïe et d’une couverture médiatique exceptionnelle, c’est le moment de retourner la pareil aux médias. Le meilleur conseil que je peux vous donner est le suivant : faites face à la musique. Vous êtes et serez toujours le meilleur porte-parole pour votre entreprise, quelle que soit vos difficultés financières. Mais vous devrez être bien préparés pour faire face aux journalistes.
- À l’inverse, si vous êtes inconnu comme chef d’entreprise dans votre milieu, ne cherchez pas les projecteurs inutilement, à moins que vous y soyez forcés. Ne cherchez pas à exister et à vous faire connaître dans ce contexte défavorable. Un communiqué de presse peut-il suffire?
Contrôler le message tout en faisant preuve d’humanité
Lorsqu’une entreprise annonce qu’elle se place à l’abri de ses créanciers, l’objectif, c’est de contrôler le message et de limiter les dommages.
Vous ne voulez surtout pas jeter de l’huile sur le feu avec l’ensemble de vos publics cibles, notamment avec vos créanciers à qui vous devrez rendre des comptes lors de l’assemblée générale. Après ce passage difficile, l’entreprise doit continuer d’exister et doit continuer de se soucier de sa réputation corporative.
Vous ne voulez pas être « pris » une semaine dans l’actualité régionale (ou nationale) parce que votre entreprise se place à l’abri de ses créanciers. Si vous ne contrôlez pas l’annonce de cette mauvaise nouvelle, vous envoyez le message que vous n’êtes pas en contrôle comme chef d’entreprise et inapte à gérer la restructuration. C’est du moins la perception qui sera projetée publiquement, que vous le vouliez ou non.
Dans votre souci de bien communiquer la nouvelle, gardez toujours à l’esprit que vous devez faire preuve d’humanité. Une restructuration amène son lot d’inquiétudes et de questionnements. Vos employés pourront-ils continuer à payer leur hypothèque et mettre de la nourriture sur la table pour leurs enfants? Parce qu’on parle de difficultés financières personnelles et familiales, qui auront un impact sur leurs vies.
Vos décisions d’affaires ont un impact sur des vies humaines. C’est votre responsabilité de ne jamais l’oublier lorsque vient le moment fatidique de communiquer les mauvaises nouvelles. Préparez-vous en conséquence. C’est avec des êtres humains que vous travaillez.
David Couturier